Dans un article publié dans le Monde du 19 juillet 2010 , l’écrivain pacifiste David Grossman propose que l’Etat israélien négocie globalement avec le Hamas un accord qui « imposerait un cessez lz feu total , mettrait un terme aux activités terroristes de Gaza et lèverait le siège de Gaza ».
On ne peut que rester sidéré devant la façon dont le désir de trouver une solution par la négociation plutôt que dans le combat finit par faire litière de toute réalité , et de toute analyse objective des faits. L’obsession de trouver un accord avec l’adversaire finit par conduire au déni de toutes les évidences sur son fonctionnement , ses buts fondamentaux , son idéologie , ses méthodes , sa stratégie.
A cela se substitue un écheveau de conjectures et d’hypothèses de plus en plus hasardeuses qui expriment des voeux et non des analyses froides de la situation et des paramètres en présence.
Ainsi , Grossman s’interroge dans l’article : « Qui nous dit que le Hamas n’est pas assez mur et même souhaite un geste pour sortir de la camisole qu’il a nouée autour de lui-et de son attitude butée de refus? » .La réalité est que le Hamas , qui tire son prestige du refus de tout compromis avec les israéliens , qui a l’impression que son isolement renforce sa mainmise sur la population gazaouie , et que son intransigeance lui fait gagner du terrain sur l’autorité palestinienne , n’a aucun intérêt et aucune envie de négocier.
Le paradoxe , c’est que par désir de trouver à tout prix un « arrangement » avec l’adversaire , le pacifisme de Grosmam le conduit à donner des armes aux ennemis des Palestiniens qui veulent vraiment négocier avec les Israéliens , c’est à dire aux partisans du refus total -le Hamas- contre l’Autorité Palestinienne. Cela a un nom : l’inconséquence.
L’hypothèse dont part Grossman est que Israêl s’est toujours raidi dans un refus de reconnaître l’ adversaire et de négocier qui l’a conduit à lâcher davantage quand il a fallu reculer. Les exemples qu’il prend sont ceux du refus de reconnaître l’OLP , du retrait du Liban et du retrait du Goush Katif en 2005 , et de l’affaire de la flottille de Gaza qui l’ a obligé à desserer le blocus de Gaza.
On voit très facilement le côté spécieux de cet argumentation:
Le refus de reconnaître l’OLP a duré tant que l’OLP a maintenu un refus de reconnaître l’état israélien. C’est ce refus de lâcher prise face au maximalisme palestinien qui a justement fini par porter ses fruits et obligé l’organisation nationaliste palestinienne à changer sa position et à admettre l’existence de l’Etat israélien. Il y a chez Grossman , et chez les pacifistes et dans la gauche israélienne en général une telle culpabilité du fait d’avoir « imposé » par la force l’existence d’Israël et de ne pas avoir obtenu l’assentiment des arabes à la naissance de cet état , que ils ne peuvent s’empêcher de courir après cet assentiment , soixante ans après la création de cet Etat. Il y a pour eux un péché originel dans l’existence même d’Israêl et leur désir de se désolidariser de cet acte inaugural les conduit à multiplier les concessions pour se faire pardonner ;Chez certains cela touche à l’expiation , et ils sont prêts à offrir leur gorge au couteau sacrificateur pour effacer cette tache sur leur conscience .
Plus généralement , ils sont prisonniers de l’idée que l’identité juive est liée à une mission : celle d’incarner les valeurs morales qui feraient du peuple juif un peuple « plus » moral que les autres. Cette version transposée du « peuple élu » , qui ne fait que déplacer dans le langage profane l’idée de mission divine exprime un désir de supériorité sur les autres , commune à tous les nationalismes , dont ils ne sont la plupart du temps même pas conscients.
Car les peuples n’ont aucune mission.Il peut arriver que leurs Etats assument à certaines époques critiques , la responsabilité de la défense de certaines valeurs ( les Etats Unis face au nazisme ou au communisme par exemple) , et que les peuples se sentent en accord avec ces positions , mais ils n’ont pas de « mission » sinon dans leur imaginaire.
Cette représentation de l’identité juive comme étant liée à la prévalence de l’éthique sur la politique est l une retombée historique du destin diasporique ,dans lequel à aucun moment les Juifs n’ont assumé des responsabilités étatiques, ni eu à utiliser la force puisqu’ils en étaient dépourvus et avaient accepté ce statut de citoyens livrés aux forces des autres.
C’est en tout cas une représentation extrêmement répandue dans le monde juif , en particulier pour ceux qui ne voient d’identité juive maintenable que dans l’inspiration des conduites juives par la religion, quitte à « moderniser » celle ci en en gardant le contenu prescriptif ,et en changeant l’ enveloppe formelle.
C’est un peu comme si les Français , par volonté de continuation de l’esprit du catholicisme qui a joué un rôle immense dans la formation des mentalités du peuple français , considéraient que ce qui doit déterminer la politique de l’Etat français , pour préserver l’identité française , était l’amour du prochain, et les « vertus » chrétiennes.
Revenons à l’apparente avalanche de reculs énumérés par Grossman:
La sortie du Liban , ou les Israéliens étaient entrés pour détruire le « Fatahland » , base de bombardement de leur territoire et de raids terroristes, ainsi que dans l’espoir d’aider les milices chrétiennes n’ a pas été négociée parce que rien n’était négociable pour l’état libanais; la division des forces chrétiennes et l’intervention de la Syrie, attachée à créer la situation la pire possible dans la région, jointes à la domination démographique de la fraction chiite qui a permis la montée en puissance du Hezbollah, état dans l’état, et bras armé de l’Iran. Le comble est que c’est la pression des pacifistes , avec son impact sur l’opinion publique , qui a conduit Israël à se retirer sans contrepartie. Mais dans l’esprit des pacifistes , la représentation d’un Israël jusqu’auboutiste arcbouté dans un refus de tout compromis face à des arabes désireux de paix et de négociation se superpose à toutes les réalités.
La réalité actuelle est que le peuple israélien , de plus en plus anxieux , est de plus en plus désireux de négocier (pas le gouvernement de Netanyaou) et les arabes , considérant que le rapport de forces évolue en leur faveur et de plus en plus séduits par le discours ultraradical islamiste , de moins en moins intéressés par le compromis , étant persuadés qu’ils approchent d’une victoire totale.
Le discours pacifiste continue à poursuivre le rêve d’une réconciliation hors de propos , celle ci ne pouvant se concevoir -si jamais elle est possible- que après que le temps aura joué et fait admettre , mais des deux côtés , la solution la moins mauvaise , celle de la coexistence des deux états.
La surenchère iranienne, et maintenant celle de la Turquie , montrent que l’on ne peut considérer le conflit israélo -palestinien indépendamment des facteurs extérieurs, c’est à dire des Etats voisins ,lancés dans une escalade motivée par leurs ambitions de domination régionale ajoutée à leurs idéologies islamistes ,et prêts à utiliser cyniquement ce conflit comme moyen d’étendre leur contrôle sur les masses musulmanes.
L’angélisme pacifiste (Si on met de la bonne volonté dans la discussion , on doit arriver à un accord), se manifeste encore dans l’affaire de la flottille de Gaza, ou ils font comme si un accord avait pu se négocier avec le Hamas. L’impossibilité d’arriver à un accord avec ce mouvement , contrôlé par la Syrie et l’Iran , et aux ordres de ces ennemis mortels d’Israël, a été vérifiée après l’offensive israélienne sur Gaza en 2009, nécessitée par les tirs de roquettes contre sa population. Aucun accord n’avait pu être négocié , ni avant ,ni après l’offensive israélienne Seul l’équilibre du rapport de force a joué , le Hamas renonçant à envoyer des missiles contre Israël , à quelques exceptions sporadiques près, et Israël laissant la mainmise totale du Hamas sur la population de Gaza , chacun trouvant son compte au gain obtenu. C’est toute la différence entre une stabilisation quand des forces s’équilibrent , et une négociation , qui nécessite que les deux parties souhaitent un accord et soient prêts à des concessions dans ce but . l
Là encore , c’est la nature de l’adversaire qui est l’ objet d’un déni de réalité : oubliée la dépendance du Hamas aux puissances qui soufflent sur le brasier , oubliés le fanatisme religieux et l’indifférence profonde du Hamas au problème purement palestinien à côté du projet théocratique qui est le fond de son idéologie. Avec des nationalistes , le nationalisme israélien peut chercher un compromis , c’est le sens des négociations qui devront s’ouvrir avec l’Autorité Palestinienne. Avec les fous de Dieu ,il n’y aura pas d’autre rapport que le rapport de force.
Les Européens ont fait l’expérience , avec la « paix » de Munich en 1938 , de ce que coûtent les illusions face à une idéologie de crime et de violence. Il y aura toujours des naïfs pour rêver d’un pacte avec le diable et oublier que tôt ou tard , le diable vient réclamer ce qu’il considère comme lui revenant.